– La tenue du marié –
L’interview Zankyou
- 1. Quand et comment avez-vous décidé de lancer votre marque ?
J’ai ouvert mon atelier en mai 2011, juste après être sorti de l’Ecole des Tailleurs (A.F.T. dirigée par Maître André Guilson) et avoir passé mon CAP de tailleur homme. Il a fallu quelques temps pour développer le concept et trouver le bon atelier. J’ai rapidement trouvé Sartena, un petit atelier artisanal situé dans le Nord de l’Italie, avec lequel j’ai pu développer un partenariat privilégié. Les costumes que je livrais à mes clients étaient de fiers exemples de la fine qualité italienne. Souplesse et légèreté, confort et allure.
- 2. Pouvez-vous nous raconter son histoire ?
Si j’avais appris à réaliser un costume entièrement à la main, le coût et la faible clientèle m’ont poussé très vite à m’intéresser à la demi-mesure, ou petite-mesure, qui consiste à faire réaliser par un atelier spécialisé, un vêtement sur-mesure, au goût du client, avec ses options de style, ses mesures, et bien sûr, le tissu qu’il a choisi. Cela permet pour un coût à peine supérieur au prêt-à-porter d’avoir vraiment un vêtement “plaisir”, un vêtement personnalité, un vêtement fait pour soi.
J’ai commencé comme “traveling-tailor”, c’est à dire que je me déplaçais chez les clients, avec une petite valise remplie d’échantillons de tissus et d’outils de prise de mesure. Une vraie aventure humaine. Dès 2011, le succès est au rendez-vous. Il faut dire que lors de mon apprentissage à l’Ecole des Tailleurs, j’avais lancé mon blog, Stiff Collar, dont le but était de décrire mon apprentissage technique et manuel. A cette époque, Internet regorgeait de forums et de lieux de discussion où les amateurs se plaisaient à parler beaux vêtements. Le blog a reçu une certain audience, et lorsque j’ai lancé l’activité, les élégants furent ravis, à une époque où Paris comptait peu d’adresses qualitatives en demi-mesure.
J’ai pu ensuite m’installer aux Invalides, boulevard de La Tour-Maubourg. J’ai continué le blog, qui a été remarqué par Le Figaro Magazine, qui m’a confié une chronique. Puis par M6 et Cristina Cordula qui m’ont appelé à être juré de l’émission Cousu-Main.
- 3. Pourriez-vous nous décrire le costume de marié parfait selon vous ?
Je pense que le bon costume de marié, c’est celui dans lequel il se sent bien. Que le marié ait l’habitude de s’habiller en costume, ou non. Comme j’essaye avec mes deux collaborateurs, Quentin et Raphaël, d’écouter et de comprendre mes clients, avec patience, dans le cadre de petits salons privatisés, il est possible de faire remonter les envies et les goûts du marié. C’est un instant privilégié et il faut prendre le temps de l’écoute. Ainsi, nous pouvons cerner au mieux la psychologie du marié et lui proposer un costume en adéquation avec son envie.
Je pense par ailleurs qu’il est génial pour le marié de pouvoir commander un costume plutôt classique, qu’il pourra remettre après le mariage, en d’autres occasions, fêtes de famille, baptême, etc. Ou même travail. Car c’est la force du costume d’homme par rapport à la robe de la mariée, il est possible, un peu, de le remettre. Et en complément de ce costume simple, pour rendre la tenue fun et unique, nous conseillons souvent un gilet amusant, coloré ou à motif. Pour s’amuser.
Toutefois, c’est aussi sympa quand le marié nous demande un costume hors-du-commun, en lin pour un mariage sur la place, en tweed pour un mariage de campagne, etc. A chaque client une réponse unique et personnalisée. Nous ne sommes pas une usine à costumes comme nombre de confrère, on arrive à prendre le temps de rendre chaque costume unique !
- 4. Comment définiriez-vous le style de vos créations ? Quelle est votre marque de fabrique ?
Le temps que l’on prend pour écouter et bien faire. Nous n’avons pas des volumes énormes, nous ne le voulons pas. Par exemple, nous ne proposons pas des costumes dès 300€ comme bon nombre de confrères, avec des costumes en polyester et viscose. Nous commençons à 700€ et uniquement avec des 100% laine de fabrication italienne. De la fine qualité. Je n’ai pas fait d’Ecole de Commerce, mon but n’est pas de remplir des tableaux Excel à la fin de la journée, mais bien de proposer de bons vêtements. Au milieu d’un grand nombre de boutiques de sur-mesure qui proposent des qualités aléatoires et parfois très médiocres du point de vue de la prise de mesure, nous prenons le temps, y compris parfois de recommencer si le costume n’est pas au standard.
Nous proposons un style plutôt sage, classique et intemporel. Mais si d’aventure le client émet le souhait de s’amuser avec son costume, notre force est de le guider au milieu des échantillons pour parvenir à un costume de très bon goût ! Même si de prime abord l’idée me parait saugrenue, mon plaisir est d’arriver à rencontrer l’envie du client, de lui faire plaisir et aussi, de me faire plaisir en confectionnant quelque chose de … BEAU !
- 5. Où puisez-vous votre inspiration à l’heure d’imaginer vos créations ?
La mode masculine est faite de continuité et de régularité. Je ne cherche pas à partir dans des délires créatifs, car l’art tailleur, comme la bonne cuisine est normée et fait de code. Les comprendre, les respecter, les adapter est un jeu permanent. Et un plaisir. L’inspiration vient autant des années 30 et 50 que d’aujourd’hui. Songez à Cary Grant ou Fred Astaire. Songez aux films d’Hitchcock ou d’Hercules Poirot. Mais il faut aussi regarder plus près de nous, Tom Ford par exemple qui sait décliner le beau-vêtement masculin, comme Ralph Laurent. Songez à Ryan Gosling aussi, souvent d’une grande élégance!
- 6. Quelles sont les principales exigences des futures mariées actuelles ? Quelles sont les tendances de cette saison ?
Je reçois des mariés venant de tous horizons. Certains veulent s’habiller en traditionnelle jaquette et chapeau haut-de-forme. D’autres au contraire veulent arborer un costume super slim bleu flash. Certains cherchent la discrétion classique, d’autres le panache et de la modernité. Le marié d’aujourd’hui n’est pas unique. Il est comme la société, d’aspects multiples. Pour le tailleur, c’est un défi et un plaisir de chercher à s’adapter et à répondre au mieux au besoin exprimé. Si j’arrive à donner le sourire au marié, alors c’est gagné. C’est le plus grand plaisir.
Côté tendance, elles évoluent sans cesse. Le costume bordeau ou vert anglais est assez demandé. Le gilet et la cravate vert d’eau reviennent souvent dans les demandes. Pour moi, s’il y a une demande précise d’une couleur en particulier, c’est très agréable, cela permet de chercher le tissu idéal, celui qui fait le bon écho aux accessoires de la fête!
- 7. Quelles sont les différents rendez-vous dans vos ateliers pour le futur marié, depuis sa première visite jusqu’à celle où il repartira avec son costume ?
Pour un costume classique, de business comme on dit, trois rendez-vous sont utiles. La commande en 1h30, l’essayage en 20 min puis la livraison avec nouvel essayage en 20 min aussi. Pour un mariage, nous rajoutons un premier rendez-vous. Les préliminaires c’est très important vous savez! Ainsi, avant la commande effective, nous discutons de manière libre et sans engagement avec le marié, ses témoins ou sa fiancée, pour comprendre son besoin, ses envies. Et nous en face commencer à ébaucher un choix de tissu et de coupe. C’est une discussion par allers et retours. Un costume de mariage nécessite donc quatre étapes, pour aller des prémisses de l’idée jusqu’à la réalisation d’un vêtement de rêve.
- 8. Quel(s) conseil(s) pourriez-vous donner aux futurs mariés et à leurs invitées ?
Le meilleur conseil à donner est de ne jamais chercher à être “costumé” dans le sens d’une farce. Un mariage, moment important, demande un peu de temps et de tact. La photo de mariage restera des décennies et il faut faire quelque chose de classe. Il ne faut donc pas se précipiter à la dernière minute. Le temps, le temps et le temps, rien de mieux. Après, je peux m’adapter à des délais serrés.
- 9. Quel est le plus grand challenge qu’implique votre secteur d’activité ?
Le plus grand challenge de mon secteur d’activité est la grande variété des tailleurs. Le meilleur côtoie souvent le pire. Combien de mariés arrivent dans notre atelier car ils ont payé un costume qui ne va pas ou qui n’arrive jamais. Ou même dont les mesures sont nazes. Certaines enseignes se cachent derrière des cabines 3D pour excuser la non-formation de leurs personnels par exemple. Pour les clients et mariés, le monde du sur-mesure est un labyrinthe terrible où ils se perdent, payant parfois très chers des produits douteux. Pour moi et quelques confrères, il est toujours délicat de rattraper le coup ensuite, de redonner confiance.
- 10. Avez-vous une anecdote amusante ou mémorable à partager ?
Le plus grand plaisir pour moi est de recevoir après le mariage une jolie carte, avec une photo, et quelques mots manuscrits de remerciement. Dans mon monde qui va bien trop vite et où tout est déshumanisé, c’est une gentillesse touchante de la plus haute importance pour moi. Le tailleur forme un duo avec le marié. C’est l’histoire d’une rencontre qui se déroule bien et donne du plaisir aux deux !